HISTOIRE DU CACAO



Histoire du Cacao
L'Histoire du Cacao

Un article de Bernadette Arnaud paru dans Sciences & Avenir N°683 de janvier 2004.

Gousse de cacaoGousse de cacao
Gousse de cacao

Chocolat : cinq raisons d'en croquer

Retrouver le goût de l'histoire

Notre goût pour le chocolat remonte à 2600 ans au moins. Selon les époques et les cultures, il fut consommé froid, très épicé, puis sucré. Des Amériques à l'Europe, histoire d'une boisson sacrée...
Aztèques préparant le xocolatl, gravure de Théodore de Bry, Histoire de l'Amérique, 1600
Des Aztèques préparent le « xocolatl », breuvage à base de cacao (gravure de Théodore de Bry, Histoire de l'Amérique, 1600).
Mousseux, onctueux... et frais, c'est ainsi que les peuples pré colombiens consommaient le xocolatl - « l'eau amère ». C'est en effet dans les profondeurs tropicales et humides de l'Amérique centrale et du monde préclassique maya que plongent les racines des plus anciennes préparations chocolatées connues. Des résidus de liqueur de cacao, retrouvés dans des pots en terre cuite exhumés au printemps 2002, sur le site de Colha, dans le nord du Belize, ont pu être datés de 600 ans avant notre ère. Soit 1200 ans plus tôt que les vestiges millésimés VIe siècle découverts en 1984 au Guatemala, et qui détenaient, jusque-là, le titre de doyens de la «boisson des dieux ».
Le divin élixir n'était, en Amérique précolombienne, destiné qu'aux élites. Il était obtenu après que les fèves extraites des cabosses de cacaoyer avaient été broyées puis aromatisées. Dans l'une des toutes premières relations de voyage de 1565, intitulée Histoire Nouvelle du Nouveau Monde, le voyageur italien Girolamo Benzoni rapporte que chez les Indiens « le chocolat était parfumé de cannelle, de poivre, de girofle et coloré aux graines d'achiote ». Ces semences de roucouyer, un arbuste tinctorial, permettaient d'obtenir une tonalité rougeâtre fort recherchée. Pour- l'avoir vu préparer par les Aztèques du Mexique, les Castillans rapportent aussi que le liquide était longtemps battu à l'aide d'un pal après que de la farine de maïs, des chiles (piments) et de la vanille lui aient été ajoutés. « Non pas tant pour produire de la mousse, que pour faire remonter la matière grasse figée au fond du pot », écrit Pierre Labanne, dans les «Aventures du cacao »[1]. L'écumante boisson obtenue était ensuite dégustée froide.
Offrandes à l'empereur de fruits, tabac, cacao et vanille, par le peintre mexicain Diego Rivera
Chez les Aztèques, le cacao était une denrée rare. De ce fait, il avait autant de valeur que l'or et servait de monnaie ou encore d'offrande pour les dieux ou les rois, comme l'illustrent ces « Offrandes à l'empereur de fruits, tabac, cacao et vanille », par le peintre mexicain Diego Rivera.
Devant tant de condiments, on comprend pourquoi les Espagnols furent, dans un premier temps, assez déconcertés par le goût épicé et amer du produit. Ils avaient néanmoins constaté que sa consommation permettait de lutter contre la fatigue. «Lorsqu'on l'a bu. on peut voyager toute la journée sans avoir besoin de nourriture », écrit, en 1532, Bernal Diaz del Castillo dans « Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle Espagne ». Et ces bienfaits n'étaient pas les seuls à avoir frappé l'esprit des Castillans. D'autres, plus capiteux, circulaient également. Quelques vertus aphrodisiaques furent ainsi attribuées au nectar. On racontait même, en 1519, que le souverain Moctezuma (1466-1520) en consommait jusqu'à cinquante tasses quotidiennes, dans des coupelles en or... Pendant longtemps, toutefois, les conquérants Espagnols se limiteront à un usage externe et thérapeutique du chocolat. Le beurre de cacao est avant tout, pour eux, un remède d'apothicaire. Un baume utilisé pour traiter les brûlures, comme le font les Indiens.
Les premiers à se soigner l'estomac en adaptant le xocolatl à leur goût seront les religieux et les colons arrivés à la suite des conquistadors. Ils mêlent à la boisson, épaissie à la farine de maïs, vanille, cannelle, poivre, clous de girofle, anis, ainsi qu'une nouveauté, inconnue jusqu'alors dans le Nouveau Monde le sucre. Un édulcorant obtenu grâce aux plants de canne rapportés des îles Canaries et cultivés à Saint-Domingue et au Mexique. « L'idée d'ajouter du sucre au cacao pour adoucir son amertume fait du chocolat un savoureux breuvage.., une révolution sans laquelle il aurait probablement disparu », observe Pierre Labanne.
Le goût pour cette nouvelle douceur ne va pas tarder à traverser l'Océan. Selon les historiens, les premières cargaisons de fèves de cacao ont probablement touché l'Espagne dans les soutes des navires de Cortés, au retour d'Amérique, en 1528. Quoi qu'il en soit, dès son arrivée en Castille, la boisson rapportée des Indes déclenche un véritable engouement. Les Grands d'Espagne se passionnent pour le chocolate. Cet enthousiasme intrigue néanmoins l'Eglise catholique qui s'interroge sur la nature de ce produit exotique. Est-ce une nourriture ? Est-ce une boisson ? Peut-on l'autoriser au moment du Carême ? Les Jésuites qui, depuis les Amériques, font commerce du cacao, affirment que l'ingestion du breuvage divin ne rompt en rien le jeûne. Les Dominicains, eux, sont d'un avis contraire. Mais sans doute la controverse se sera-t-elle achevée autour d'une bonne tasse de chocolat mousseux, car l'inquisition, dans un inhabituel mouvement de mansuétude, répond qu'il s'agit bel et bien d'une boisson. Les buveurs de chocolat viennent de l'échapper belle!
Hambourg, par H. Vogel
Le cacao gagne l'Europe par navire (ci-dessus Hambourg par H. Vogel)
En Espagne, la première fabrique de cacao ouvre donc ses portes en 1580. Il faudra attendre quelques années pour que les fèves venues des Amériques traversent les Pyrénées. L'événement aura lieu en 1609, avec l'installation des premiers ateliers de traitement de cacao dans la ville de Bayonne, au Pays basque. De là, la fièvre de la fève va s'emparer de toute l'Europe. Et pour s'approprier les cabosses tant convoitées, tous les moyens sont bons. Depuis la moitié du XVIe siècle, par exemple, les navires hollandais pillent les bâtiments espagnols de retour d'Amérique. De la Hollande, cette passion gagnera l'Allemagne, et de là les pays du Nord. En France, il faudra néanmoins attendre le mariage de Louis XIII avec l'infante d'Espagne, Anne d'Autriche, en 1615, pour que le chocolat soit introduit à la cour.
Mais c'est surtout avec l'épouse de Louis XIV Marie-Thérèse d'Autriche, elle aussi princesse espagnole, que la frénésie du chocolat gagne l'aristocratie française. Un sieur Chailou est même nommé chocolatier royal en 1659. Il a le privilège exclusif de «faire, vendre et débiter dans toutes les villes et autres lieux de France que bon lui semblera une certaine composition qui se nomme chocolat, soit en liqueur ou pastilles, en boîte ou telle autre matière qui lui plaira pendant l'espace de 29 ans ». La fin de son monopole verra la corporation des limonadiers (créée par Louis XIV en 1694) s'emparer du juteux privilège - le cacao étant fortement taxé. Une vingtaine d'années avant la Révolution française, en 1770, naîtra une Compagnie des chocolats et thés. »
Le Déjeuner de chocolat, par R Longhi
Il fait le délice d'amateurs de plus en plus nombreux (ci-dessus, le Déjeuner de chocolat, R Longhi)
L'aristocratie française se pique de cacao... La cour se grise de chocolat. La seconde épouse de Louis XIV; madame de Maintenon, convainc même son royal époux d'en faire servir à chaque fête. Les maîtresses de Louis XV et Marie-Antoinette, l'épouse de Louis XVI, ne seront pas en reste. L'« Autrichienne », comme l'appellent les Français, amène dans ses bagages son chocolatier personnel. « Il faut dire que les Viennois sont passés maîtres dans l'art d'accommoder le cacao. L'expert élabore une boisson savoureuse, sucrée et vanillée, auquel il rajoute des poudres d'orchidée ou de fleur d'oranger », rapporte Pierre Labanne. La fonction convoitée de chocolatier de la reine voit même le jour. « Un fief bien plus lucratif que maintes baronnies fièrement armoriées et gironnées », commente-t-on à l'époque.
Tout comme sur les terres américaines, des préparations à base de cacao sont proposées en tant que remède. Un dénommé Debauve, pharmacien et chocolatier du roi Louis XVI, fournit ainsi onguents et médecines. « Aux personnes qui manquent d'embonpoint, il offre le chocolat analeptique (stimulant) au salep (bulbes d'orchis) ; à celles qui ont des nerfs délicats, le chocolat antispasmodique à la fleur d'oranger; aux tempéraments susceptibles d'irritation, le chocolat au lait d'amandes. » Mais c'est encore sous forme de boisson que le chocolat rencontre son plus grand succès. Les fèves sont broyées avec de l'eau, la «liqueur» obtenue est assaisonnée, épicée, sucrée et liée d'un peu de fécule pour homogénéiser le beurre de cacao.
En 1828, un chimiste hollandais, Coenrad Van Houten met au point une presse pour extraire le beurre des fèves. La pâte récupérée est dégraissée, séchée, puis finement moulue. La poudre de cacao est née. Celle que nous consommons. Les premières tablettes de chocolat à croquer ne tarderont pas à faire leur apparition. Mais nous sommes encore loin de la démocratisation de la consommation, il faudra attendre 1853 et la baisse de taxes, pour que l'industrie chocolatière s'organise et explose. Bientôt on y ajoutera du lait. Jusqu'à ce qu'au XXe siècle, tout un chacun savoure le chocolat. Dans le monde entier et dans tous ses états.

1« l'Histoire du chocolat, Flammarion, 2001.


Recettes d'hier et d'aujourd'hui

A la mode espagnole

Une recette madrilène du XVIIe siècle inclut dans le chocolat du poivre, de l'anis, des roses, de la cannelle, du musc et de l'ambre gris, de la muscade, de la girofle et de la rhubarbe. Tous ces aromatisants étaient broyés avec les fèves jusqu'à l'obtention d'une pâte onctueuse ensuite délayée soit à l'eau chaude, soit à l'eau froide, selon qu'elle était à la mode espagnole ou encore des Indes.

Chantil1y sans crème

Un chocolat chantilly sans crème (ni oufs) :
un soupçon de chimie, une pincée de physique et une grosse louche de chocolat pour un dessert original, proposé par Hervé This, physicochimiste, et gastronome, au Collège de Francs et à l'Inra.
Faites fondre une tablette de chocolat dans 20 centilitres d'eau avec une feuille de gélatine. La sauce doit être liquide mais pas trop. La gélatine, un tensio-actif, sert à lier l'émulsion, un peu comme la lécithine de soja, très utilisée. L'idée consiste ensuite à introduire des bulles d'air dans ce mélange pour le transformer en mousse, A cette fin, sortez le récipient du feu transvasez le liquide dans un bol sorti du réfrigérateur, posez-le sur de la glace, puis fouettez avec un batteur électrique. Attention, ne lésinez pas sur la glace, la température est un point essentiel pour la réussite. Peu à peu le mélange s'épaissit et, quand la température de cristallisation du chocolat est atteinte (entre 34 et 37 °C), le volume de la sauce augmente d'un coup. La couleur passe du marron foncé au marron clair, signe que les bulles d'air sont bien là. Accélérez alors le battement du fouet. Vous pouvez déguster. Pour Hervé This la recette est immanquable au sens où si on la rate, on peut la recommencer. Si la mousse s'affaisse, refondez-la sur la feu, ajoutez un peu plus de chocolat (prévoyez donc une tablette de secours) et battez à nouveau. Si elle est trop épaisse, refondez également et ajoutez du liquide, puis recommencez à battre.





Azteques preparant le xocolatl, gravure de Theodore de Bry, Histoire de l'Amerique, 1600
Azteques preparant le xocolatl, gravure de Theodore de Bry, Histoire de l'Amerique, 1600.jpg
Cacao
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Gousse de cacao (1)
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Gousse de cacao (2)
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Hambourg, par H. Vogel
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Le Dejeuner de chocolat, par R Longhi
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Offrandes a l'empereur de fruits, tabac, cacao et vanille, par le peintre mexicain Diego Rivera
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Sciences & Vie 683, 2004-01, Histoire du cacao (1)
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