Mandrin Louis (1724-1755)

Mandrin.gif

De l'injustice à la révolte

Né en 1725 à Saint-Étienne de Geoirs, dans le Dauphiné, Louis Mandrin est l'aîné d'une famille de neuf enfants. Il a 17 ans quand meurt son père, un maréchal-ferrand prospère. Il reste donc le chef d'une famille de neuf enfants. Inapte à développer l'entreprise familiale, il signe en 1748 un contrat avec les collecteurs de taxes de la Ferme générale en vue de ravitailler l'armée française qui guerroie en Italie.
À la fin de sa mission, ayant perdu la plupart de ses 97 mulets dans la traversée des Alpes, ne voilà-t-il pas que la Ferme générale refuse de le payer !
Là-dessus, son propre frère est pendu pour faux-monnayage suite à une intervention de la Ferme générale. Lui-même participe à une rixe sanglante le 30 mars 1753 et doit s'enfuir pour échapper au supplice de la roue. Il se réfugie dans l'illégalité, devient hors-la-loi, s'enrôle dans une bande de contrebandiers dont il prend la tête en 1754 et déclare la guerre à la Ferme générale, non sans afficher son dévouement au roi !
La contrebande connaît alors son maximum d'extension. Mandrin groupe jusqu'à trois cents hommes : Savoyards et Français, soldats déserteurs, artisans, pauvres gens...
Mandrin, qui a la fibre militaire, organise ses troupes comme une armée, avec solde, grades et discipline.
En 1754, en l'espace d'une année, il organise en tout et pour tout six «campagnes», rapides et bien ordonnées en Franche-Comté, en Bourgogne, en Auvergne, en Forez, Velay et Rouergue.
Ils pratiquent la contrebande entre les cantons alémaniques, le Valais, Genève d'une part, la Savoie et la France d'autre part.
Au début de chaque campagne, il achète cuirs, peaux, grains, fourrages, de la poudre et du plomb, du tabac, des toiles peintes, des mousselines, des indiennes en Suisse qu'ils transportent en fraude vers la France. Ils importent dans le Duché indépendant de Savoie du sel, des tissus, des produits coloniaux.
Ensuite, il pénètre en territoire français avec quelques dizaines de complices, investit une ville ou une autre et vend ses marchandises au vu et au su de chacun, pour la plus grande satisfaction des habitants, ravis de l'aubaine.
Les bandes vendent leurs marchandises, à partir de dépôts, en bordure du Rhône, dans les foires et des villes brusquement investies. Ils y libèrent les prisonniers, dépensent largement ; ils disposent de relais et de la complicité populaire, voire générale, pour le tabac.
Ses dépôts d'armes et de marchandises se trouvaient en Savoie.
Les fermiers généraux ripostent en obtenant dès le printemps 1754 des lois contre les personnes qui achèteraient quoi que ce soit aux contrebandiers.
Louis Mandrin a l'idée, lors d'une campagne, à Rodez, de «vendre» ses marchandises aux employés locaux de la Ferme sous la menace des armes. En d'autres termes, il pille les caisses de l'institution.
En octobre 1754, sa cinquième campagne, au Puy, tourne mal. Elle lui vaut une grave blessure au bras suite à un échange de tirs avec les troupes de la Ferme générale. La Ferme, cette fois, obtient du roi l'intervention de l'armée. Mandrin, qui eut tant aimé servir comme officier, est désolé par la perspective d'avoir à affronter des soldats royaux.
Le régiment de chasseurs du capitaine Jean-Chrétien Fischer intervient précisément lorsque Mandrin lance sa sixième campagne, à Autun et Beaune, le 19 décembre 1754. Les contrebandiers sont pris en chasse alors qu'ils quittent Autun. C'est le massacre. Mais Mandrin arrive in extremis à s'enfuir en Savoie.
Le capitaine des troupes de la Ferme générale, Alexis de la Morlière, déguise 500 de ses hommes en paysans et les fait pénétrer en toute illégalité sur le territoire du duché.
Louis Mandrin, le contrebandier de belle prestance que l'on surnommait «Belle humeur» est trahi par deux membres de sa bande. Il est pris avec trois comparses au château de Rochefort, près de Novalaise, par la troupe française le 11 mai 1755, et ramené en France, à Valence.
Indigné par la violation de son territoire, le duc Charles-Emmanuel III de Savoie demande à son neveu Louis XV la restitution du prisonnier. Comme le roi de France s'apprête à lui céder, la Ferme générale accélère les formalités de jugement de son ennemi juré. La condamnation tombe le 24 mai 1755 et elle est exécutée deux jours plus tard.
À l'issue de son procès, à Valence, il fut exécuté le 26 mai 1755, roué vif, sur les bords du Rhône. Le condamné subit d'abord la torture des brodequins : ses jambes furent écrasées entre 2 planches en vue de lui faire avouer le nom de ses complices. Puis il sera conduit à l'échafaud, sur la place du Présidial. Le bourreau brisa ses membres à coups de barre. Enfin, il exposa le condamné face au ciel sur une roue de carrosse.
Le fier contrebandier supporta ce supplice sans mot dire. Au bout de huit minutes, le bourreau l'étrangla à la demande de l'évêque, touché par son repentir, mettant ainsi fin à ses souffrances. Plusieurs milliers de personnes assistèrent à la scène. Très vite va se répandre la légende du bandit magnanime puni pour avoir volé les collecteurs d'impôts.
Après ces incidents, les Savoyards obtinrent la suppression des têtes de pont françaises sur la rive gauche du Rhône en 1760.
La brève épopée de Mandrin sera symbolique des iniquités fiscales dans les décennies précédant la Révolution française. Elle jouit encore d'une auréole en Dauphiné comme en Savoie.
Après lui, l'action des contrebandiers fut plus dispersée, plus agressive et plus meurtrière.


Voir l'article de Historia 284, par ANDRÉ GILLOIS

Retour