Pic Epeiche
Le pic épeiche est plus courant que son cousin le pic vert et pourtant personne ne le connaît.
Le pic épeiche est le cousin inconnu du pic vert.
Tellement inconnu qu'on entend dire parfois :
"- Tiens! C'est drôle, l'autre jour j'ai vu un bizarre pic vert tout noir et blanc.."
Eh bien, même pour quelqu'un qui, comme le pic épeiche, met son point d'honneur à vivre en parfait sauvage, des réflexions de ce genre,
c'est vexant!


Vexant mais logique: alors que le pic vert aime les espaces dégagés, les vastes parcs riches en vieux arbres, peupleraies du bord des rivières, bosquets, vergers et autres endroits où il ne peut guère passer inaperçu, le pic épeiche au contraire, taciturne individualiste, préfère le secret des grands bois peu fréquentés.

Ce qui n'empêche pas, évidemment, certains individus de se rapprocher des maisons en hiver, voire même, occasionnellement, d'aller becqueter la graisse disposée à l'intention des mésanges.

Ou encore de fréquenter les jardins publics et cela jusqu'au cœur des grandes villes.
Mais il ne s'agit là que de quelques "marginaux" ou d'une minorité d'individus poussés par la faim...

Un oiseau fait exprès pour les arbres.

De même que l'on voit rarement un canard loin de l'eau, on voit rarement un pic loin d'un arbre : tout le corps de cet oiseau paraît conçu pour le bois et la vie dans les branches.
Ses pattes, par exemple, semblent avoir été spécialement étudiées pour lui permettre de rendre jaloux les poseurs de nichoirs (vous savez: ces grosses bêtes peu agiles qui ont tant de mal à grimper aux arbres sans tomber...)

Le pic épeiche, lui, se pose souplement contre le tronc et y reste attaché sans efforts, comme collé.
C'est que ses doigts, très longs, fort robustes et armés d'ongles acérés, se plantent dans l'écorce à la manière de petites griffes d'élagueur et enserrent le tronc mieux que dans une tenaille.
La patte du pic a 2 doigts en avant et deux doigts en arrière (1 seul chez la plupart des autres oiseaux), ainsi que des bourrelets sous les doigts qui lui permettent de mieux s'agripper aux troncs.
Le pic repose alors sur un véritable petit trépied naturel dont le troisième point d'appui, en dehors des pattes, est constitué par la queue, une queue exceptionnellement résistante, composée de 10 plumes noires et blanches à la fois très raides et très souples qui lui donnent un peu l'aspect d'une lame de ressort.

Grâce à ces accessoires, le Pic, littéralement fiché dans l'arbre, n'éprouve aucune fatigue et peut conserver sa position verticale des heures durant.
C'est d'ailleurs dans cette posture qu'il passe généralement la nuit.

En plus de son matériel d'élagueur, le pic dispose d'un accessoire très intéressant qui pourrait tout aussi bien figurer dans la panoplie d'un menuisier ébéniste que dans celle d'un batteur pour orchestre du samedi soir :
je veux parler, vous l'aviez deviné, de son bec...
Le drame du pic épeiche : il ne sait pas chanter...
Ce précieux bec est tout d'abord un instrument rudimentaire de jazz.
En effet, quand vient le printemps, le pic épeiche qui se sent soudain, lui aussi l'envie de fonder une famille -c'est bien normal après tout - éprouve alors un chagrin subit : il ne sait pas chanter, ou tellement mal que c'est tout comme...
Vous me direz: "ce n'est pas très grave"
Erreur! le chant a une très grande importance chez les oiseaux car c'est pratiquement le seul moyen d'attirer chez soi la femelle de ses rêves, de marquer son territoire et d'impressionner les intrus.

Vous savez -si vous ne le savez pas, je vous l'apprends- que les oiseaux se donnent, chaque printemps, un "territoire", c'est à dire une portion de forêt, de marais, de prairie ou de friche sur laquelle ils règnent en maître et où ils ne tolèrent aucune concurrence de la part d'un individu de la même espèce.
Par exemple, une mésange charbonnière n'accepte pas une autre mésange charbonnière à l'intérieur de son "royaume".
Par contre, elle s'accommodera fort bien de la présence d'autres espèces comme le pinson, la fauvette à tête noire ou la mésange bleue.
Le rôle principal du chant est précisément de lui permettre de "marquer" les limites de fameux domaine: l'oiseau en fait le tour plusieurs fois par jour, en chantant à des postes bien particuliers, tel arbre ou arbuste, tel poteau électrique, tel fil barbelé etc...
qui constituent en quelque sorte les frontières à ne pas franchir.
Si un intrus se présente, les deux adversaires s'insultent longuement... en chantant!
Ils ébouriffent leur plumage, prennent des airs féroces et s'envoient à la figure des choses que nous ne pouvons pas écrire ici car notre informateur, "la Hulotte", est un journal bien élevé.
Jusqu'au moment où le plus impressionné des deux cède le terrain à son adversaire.
Mais l'affaire peut tout aussi bien se terminer par une bagarre soignée se soldant dans certains cas par des blessures plus ou moins graves.


Notre pic épeiche, lui aussi, s'adjuge une portion de forêt sur laquelle il entend bien régner en maître absolu et ne tolérer personne...
Hormis sa femelle, bien entendu !
Mais voilà: comment faire reconnaître ses droits?
Comment faire l'intéressant et pouvoir ainsi conquérir le cœur de celle qu'on attend?
Comment, le cas échéant, intimider un éventuel rival? Le pic ne sais pas chanter...
C'est à peine s'il peut proférer, de temps à autre, une courte série de "puik! ", de "tic! " ou de "pic! " aussi bruyants que peu expressifs.
Heureusement que, pour pallier ce triste inconvénient, la Nature -qui pense à tout- l'a doté, en lui donnant un bec, d'un instrument à percussion tout à fait inédit lui permettant chaque fois qu'il le désire, d'interpréter un air, pas très varié certes, mais qui a au moins le mérite de faire du bruit.
Pour cela, le pic épeiche choisi une branche morte bien sèche, située généralement en haut d'un arbre.
Il s'y accroche et la frappe alors du bec avec frénésie.
Le résultat : une vibration singulière et très sonore, durant à peine une seconde et renouvelée à intervalles réguliers, tenant à la fois du roulement de tambour et de la pétarade de cheval.
Bref, un bruit bizarre, désarmant, un tantinet inquiétant même, lorsqu'au lieu de se mêler au concert général des oiseaux, il résonne dans le silence de la forêt encore hivernale...

Le second usage que fait le pic avec son bec est plus connu

il s'en sert pour creuser des trous dans les arbres.



C'est de mars à mai, que notre héros consacre tous ses efforts au forage de la cavité familiale :
le bec légèrement entrouvert, il frappe à coups redoublés dans le tronc et en extrait de larges copeaux qu'il laisse tomber à terre.
Le bruit occasionné par ce travail n'a rien à voir avec le "tambourinage" que nous évoquions tout à l'heure :
il s'agit cette fois de coups laborieux, plus espacés et beaucoup moins sonores.



Cette entreprise de mineur a une durée variable : une semaine si le pic tient la forme, une quinzaine ou plus si le moral n'y est pas. Parfois, l'animal pris d'un subit accès de paresse, réutilise le trou de l'année précédente.


Parfois encore, il adopte un de ceux qu'il s'était amusé à forer durant l'hiver, comme ça, pour le plaisir...
Voilà donc un oiseau qui, à l'instar du désormais célèbre poinçonneur des lilas, passe sa vie à faire des trous...


Pour la plus grande joie des mésanges, torcols, sittelles, chevêches, étourneaux, moineaux et autres cavernicoles dont le bec n'est pas prévu pour la menuiserie et qui, providentiellement, trouvent là des logis fort convenables à des prix très compétitifs...

Pour compenser l'usure consécutive à ses besognes journalières, le bec du pic repousse en permanence.


On a calculé que sans cette usure,
il pourrait atteindre une longueur de 75 cm !





Laissez venir à moi les petits insectes
Troisième et dernière utilité du bec, son évidente fonction gastronomique.


Le pic épeiche est un insectivore, c'est à dire, comme son nom l'indique, un "dévoreur" d'insectes. Coléoptères (=famille des carabes et des scarabées), lépidoptères (=papillons), fourmis, guêpes, libellules, sauterelles, tout y passe, les insectes défoliateurs comme les xylophages.
Pour se saisir de ces succulentes bestioles qu'il adore, surtout en larves, l'épeiche insinue sa longue langue vermiforme (c'est à dire en forme de vermicelle), à l'intérieur des trous creusés dans le bois par des insectes.



Cette langue, extraordinairement longue et gluante, n'a pas son pareil pour explorer les galeries les plus étroites et en rapporter tout le menu bétail qui, par imprudence, y séjournait.

Ajoutons qu'en plus des insectes, le pic épeiche sait profiter de toutes les occasions:
noyaux, glands, faînes, noix, noisettes, baies de toutes dimensions etc...
Il lui arrive aussi de lécher la sève coulant des arbres et, par grand froid, de s'inviter -quel culot!- aux postes de nourrissage accrochés aux arbres par les protecteurs de nos amis les oiseaux...

C'est toujours les mêmes qui couvent!


Son nid creusé, la mère pic, qui tient à élever ses gosses à la dure, prépare, vite fait bien fait, un matelas peu confortable formés de copeaux rugueux sur lequel elle dépose ses 4, 5 ou 6 œufs blancs, pécialement luisants.
Un par jour.
Au dernier, il commence à couver.
"Il", bien sûr, c'est le mâle car, chez les pics, le père de famille n'est nullement exempté de cette fastidieuse corvée qui consiste à passer des heures et des heures allongé sur des oeufs qu'il faut en permanence tenir bien au chaud.
Beaucoup de spécialistes seraient même d'accord pour dire que le malheureux couve plus souvent qu'à son tour!...
Chez les pics en effet, la femelle entend bien ne pas être la seule à couver.
Cette légitime exigence donne quelquefois lieu à quelques petites altercations, ainsi qu'en témoigne ce document, rapporté par l'envoyé spécial de "La Hulotte".
Au bout d'une dizaine de jours, les jeunes naissent, nus, aveugles et vraiment très laids.
Mais leur croissance sera très rapide, trois semaines environ, au cours desquelles ils seront, du petit matin à la nuit tombante, gavés des vermisseaux les plus juteux et des larves les plus rebondies.
Grâce à ce traitement de choix, leur plumage prend rapidement forme, leurs belles couleurs (noir blanc rouge) éclatent.
Ils deviennent jolis à croquer et, à mesure qu'ils grandissent, leur curiosité s'éveille: c'est à qui bousculera l'autre pour atteindre l'orifice de la sombre caverne et observer longuement le merveilleux paysage vert qui entoure l'arbre natal.
Et puis, à l'âge de 20-25 jours, la famille se décide à quitter le nid et vagabonde quelques temps dans les parages. Les petits sont encore nourris dans les branchages mais ils apprennent bien vite à subvenir à leurs propres besoins.
C'est à ce moment que leur légendaire mauvais caractère, un peu apaisé par ses tâches nourricières, reprend ses droits.
Les parents qui se supportent l'un l'autre de plus en plus mal, chassent sans ménagement leur progéniture et se séparent.
Moins d'un mois après la sortie du trou natal, toute la famille est à jamais dispersée...


le mâle et la femelle

Peut-être vous est-il déjà arrivé de trouver un amas insolite de cônes de pin au pied d'un arbre.
Et vous vous demandiez ce que c'était.


C'était la forge du pic épeiche.


Le pic épeiche se trouve un arbre pourvu d'une crevasse ni trop large, ni trop étroite et il y coince une pomme de pin (un cône) parfois apportée de très loin, sur laquelle il tape frénétiquement du bec jusqu'à ce qu'en soient extraites toutes les petites graines (pas mauvaises du tout parait-il) qui s'y trouvaient.
Une fois le cône déchiqueté, il l'arrache de son "enclume" et le remplace par un autre.
C'est ainsi qu'on a pu trouver un amas de plusieurs centaines de cônes épluchés par le pic épeiche qui entouraient la base d'un jeune saule marsault.



Si, en hiver, vous découvrez la forge d'un pic épeiche,
placez-vous dans les parages et faites un affût discret.

Nul doute que vous ne tarderez pas à voir arriver ce sympathique compère.

URL d'origine : http://beh.free.fr/cm2000/pic/ (petit site sympa sur le Nord de la France)

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