PROMENADE AU GRÉ DES AROMATES ET CONDIMENTS DE PROVENCE 0n pourrait presque affirmer que la Provence ne serait pas la Provence sans les parfums de ses plantes aromatiques. Découvrons et dégustons... La Provence est une terre naturellement parfumée... dans ses chemins et ses collines vos pas écraseront souvent un plant de thym, une touffe de marjolaine ou de sarriette, vos mains effleureront un buisson de romarin, une haute tige de fenouil sauvage, votre promenade sera embaumée des odeurs puissantes que ces plantes et bien d'autres exhalent ! Les jardins aussi offrent des herbes particulièrement savoureuses et même corsées : le basilic bien sûr et la roquette cultivée, plus douce que la sauvage, sont de vrais condiments maintenant connus et appréciés dans toute la France et même l'Europe. Sans doute les sols plutôt pauvres, les précipitations faibles et irrégulières et le généreux soleil donnèrent à cette région des plantes aromatiques que les Provençaux ont su utiliser depuis des siècles pour des compositions culinaires savoureuses et variées, ainsi qu'en phytothérapie. Le dictionnaire nous donne les définitions suivantes: une plante aromatique est une substance végétale odorante ; un condiment est une substance de saveur forte destinée à relever le goût des aliments. Commençons par le laurier, arbre ou arbuste aux longues feuilles vert sombre et brillantes. Les grives, dans leur migration vers le sud, en automne, adorent se poser sur ses hautes branches où elles se gavent littéralement de ses baies d'une couleur bleu noir. C'est le moment idéal pour les observer et découvrir le poitrail rond et généreux, blond doré, piqueté de virgules chocolat, de la grive musicienne: celui d'une vraie cantatrice! Dans les derniers rayons du soleil, elles vous gratifieront peut-être d'une aria magistrale... Les feuilles séchées rentrent dans le fameux bouquet garni qui accompagnera toutes les viandes en sauce, les marinades, les ragoûts végétaux à base de seitan (« steack » végétal à base de gluten de blé), de tempeh (plat protéiné à base de soja jaune fermenté) ou de tofu fumé mais également la ratatouille d'aubergine ! Pour vraiment réussir celle-ci, il convient de faire sauter séparément les oignons, les poivrons, les courgettes et les aubergines et de rassembler les ingrédients ensuite dans une lourde cocotte afin qu'ils mijotent longuement. Ma grandmère niçoise y rajoutait quelques dés de petit-salé grillé (les végétariens le remplaceront par du seitan frit ou du tofu fumé). Il faut aussi y mettre du thym et éventuellement du romarin. La ratatouille ne doit pas être trop aqueuse ; ouvrez le couvercle pour que l'excès de jus s'évapore. Le thym, de la famille des Labiées, est extrêmement courant sur tous les terrains calcaires. Beaucoup de sous-espèces, aux parfums bien différenciés, existent dans tout le pourtour méditerranéen... C'est une petite plante touffue gris argenté de 10 à 30 cm de hauteur. En avril ou mai, chaque tige est couronnée d'un pompon de petites fleurs roses et c'est un bon moment pour la ramasser en coupant ses rameaux sans arracher la plante. Dans la cuisine provençale, il relève la saveur de beaucoup de mets ! Le thym fait aussi merveille dans les grillades de viandes et de poissons, il rehaussera la saveur un peu fade des courgettes dans un sauté rapide et vif ; il relève le goût du tofu La tisane de thym est un remède reconnu en cas de rhume ou de toux; ses propriétés vermifuges et digestives sont aussi appréciées. Le thym est en effet très riche en huile essentielle ayant une action antiseptique et même antibiotique. La sarriette est une plante un peu moins connue que les deux précédentes, pourtant je veux vous en dire un mot car elle est délicieuse avec tous les haricots secs dont elle aide la digestion, et permet d'éviter des possibles fermentations intestinales. Pour éviter le contact dur et piquant de ses feuilles, il convient de les broyer dans un mortier (ou mieux un suribachi). Le lapin sauté à la sarriette, ou la caille façon chasseur, sont aussi excellents! Enfin, la sarriette aurait des propriétés aphrodisiaques... La lavande, membre comme les deux précédentes de la grande famille des Labiées, est odorante, oui, et décorative, ô combien ! Dans les images populaires de la Provence, la lavande vole parfois la vedette aux somptueux tournesols, aux iris ou aux longs cyprès mis à l'honneur par Vincent Van Gogh. Son huile essentielle, seule ou en mélange, nous parfume depuis longtemps, mais c'est tout doucement qu'elle rentre dans nos cuisines. Voici un flan de courge qui peut constituer aussi bien un dessert qu'une entrée tiède La marjolaine et l'origan, très proches l'un de l'autre, sont aussi des Labiées, et poussent en petites touffes à feuilles arrondies vert clair. Ces dernières, fraîches et en faible quantité, sont exqui ses dans une salade mélangée ou dans un mesclun. Sec, l'origan parfume la pizza italienne et cet usage peut être étendu aux fougasses et à la pissaladière, bien provençales, elles ! Saupoudrez- en une polenta, ajoutez un filet d'huile d'olive, et au four quelques minutes... Un délice vite fait. Le fenouil sauvage est une belle et grande ombellifère qui pousse partout dans les cailloux, sur les bords des chemins ou dans nos jardins. Ses feuilles très finement découpées sont tendres au printemps, je ne manque pas d'en couper et d'en ajouter quelques-unes dans le mesclun ou pour finir d'assaisonner une crème d'avoine, un velouté aux carottes. J'en mets un peu plus dans un mélange de feuilles vertes à cuire: blettes sauvages ou cultivées, feuilles de radis et de navets, vert de poireau, épinards. J'ébouillante le tout 2 à 3 minutes puis, dans une poêle avec un oignon émincé revenu avec une cuillère à café d'huile d'olive, je rajoute ces verdures hachées, un filet de sauce de soja (shoyou) et je laisse mijoter 10 mn. Et voilà un savoureux petit plat de légumes verts, si favorables pour notre bien-être... Puis vient l'été et le fenouil grandit et forme, au sommet d'une solide tige, une ombelle de fleurs jaunes un peu fluo, assez discrète. Les petits limaçons blancs montent le long de cette tige et s'y accrochent en grappes pour se protéger de la grande chaleur régnant au niveau du sol. En Provence, on les mangeait cuits dans un bouillon parfumé précisément avec des tiges de fenouil! Lorsque les graines sont formées, le moment est venu d'en couper quelques pieds. Les graines, véritables concentrés de saveur, sont gardées à part et les tiges sont coupées en morceaux puis séchées. Tout est bon dans le fenouil à la douce saveur anisée. Mon oncle Henri, en cuisinant les mulets qu'il pêchait près de Toulon et qui, disait-il, avaient un petit goût de vase, y ajoutait une bonne rasade de pastis, et ce poisson simple et populaire devenait, avec quelques légumes vapeur et un bel aïoli un plat de roi, "peuchère", dont nous nous régalions autrefois à bord de son vieux bateau... Le loup, ou bar, au fenouil est simple à faire: prenez un beau loup bien nettoyé, le ventre rempli de tiges de fenouil coupées, salez-le des deux cotés, posez-le dans un plat sur des tiges du même genre, et avec quelques noisettes de beurre, passez-le au four 20 à 30 minutes selon sa taille. L'ail n'est pas uniquement provençal mais son utilisation dans beaucoup de préparations culinaires de cette région a contribué à en faire un ingrédient typique et incontournable de la cuisine du Midi de la France. La simple persillade en est le meilleur exemple : n'importe quel légume ou champignon sauté, ou viande grillée, avec ce mélange de persil et d'ail haché ajouté au final, acquiert comme par magie une saveur ensoleillée, un goût relevé et pénétrant qui étonne et qui souvent conquiert les plus réfractaires à la saveur de cette gousse... L'aïoli, dont Frédéric Mistral disait qu'il « concentre dans son essence la chaleur, la force, l'allégresse du soleil de Provence » se fait dans un mortier provençal en pierre avec des ingrédients - et ceci est important - tous à la même température Le basilic est désormais utilisé dans toute la France et ailleurs en Europe... Qui, en été, n'a pas eu, un jour, un pot de cette plante sur la fenêtre de sa cuisine, et qui n'en met pas plus ou moins fréquemment quelques feuilles dans sa salade de tomates ? Coupez-en les feuilles et les sommités florales mais pas les branches. Cette plante exceptionnellement savoureuse et odorante fait partie des cuisines provençale et ligure depuis fort longtemps ! Il en existe plusieurs variétés, à petites, moyennes ou grandes feuilles, rouges ou verts ; ce magnifique aromate-condiment est également très prisé au Moyen-Orient. La roquette, enfin, a des parfums soufrés - surtout celle qui est sauvage - réservés aux connaisseurs et amateurs de goûts puissants et singuliers... Rustique et tenace, elle se contente de sols pauvres et de bords de chemin où elle peut s'installer pour plusieurs années. Ses feuilles pointues, vertes, glabres, et ses fleurs jaune vif la font remarquer sans difficulté. La roquette cultivée a été bien amadouée: elle n'a presque plus de saveur amère et il ne lui reste plus qu'un petit peu de piquant; c'est sans doute l'une des raisons de son succès grandissant auprès du public. On la trouve également dans le rayon des herbes aromatiques des magasins d'alimentation... La généreuse famille des Crucifères nous offre ici une plante très riche en soufre, élément indispensable dans tous les processus de désintoxication et de dépollution intérieure. Disons résolument oui au mesclun, par exemple, qui sans roquette est fade; à la laitue, qui avec elle prend des couleurs, et des saveurs de rebelle; et même sur la pizza, elle vient semer sa touche espiègle et coquine. Vous l'avez deviné : j'aime la roquette, surtout la sauvage, qui résume pour moi l'esprit indépendant des pâtres provençaux qui la croquaient en gardant leur bêtes sur les plateaux austères de la Haute-Provence... Hélène Magarinos-Rey. Diplômée en biologie appliquée, professeur de cuisine naturelle. Dessins et photos de plantes : Alain Roulier, extraits du livre "Les huiles essentielles pour votre santé", Guy Roulier, Éditions Dangles.